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15 novembre 2014 6 15 /11 /novembre /2014 16:15

Ni le nom d'un agent secret, ni une taille de soutien-gorge, ni un code postal. C'est une prison. Après la guerre d'Indochine, entre 1975 et 1979, les Khmers Rouges ont pris le pouvoir et l'ont exercé d'une manière qui ferait palir certains dictateurs. Pol Pot et son équipe ont voulu un pays docile et dédié à l'agriculture. Deux grandes campagnes successives d'évacuation des villes ont envoyé de force les citadins à pied vers les campagnes et les coins les plus reculés du pays. Tout les aspetcs de la vie quotidienne étaient contrôlés. Il ne faisait pas bon parler une langue étrangère ou porter des lunettes. Ces particularités suffisaient à écarter toute négociation ou traitement de faveur, la punition tombait. Un homme coupable entrainait avec lui femme et enfants vers la sentence. Les bonzes, moines bouddhistes, étaient condamnés d'office. Plus de 20% de la population cambodgienne a péri en quatre ans. Pourtant la communauté internationale ne parle toujours pas de génocide. En visitant ce centre de détention, de torture et d'abattage, on imagine sans trop d'effort et malgré le climat pesant, que le lieu fut autrefois une école. Dans une salle, au milieu des traces de l'horreur, un tableau noir subsiste. Dans la cours, les agrès d'éducation physiques sont toujours là. Malheureusement ils furent utilisés pour torturer les détenus.

 

En plein centre ville, l'endroit semble avoir été abandonné l'année dernière. Les barbelés courent toujours sur l'enceinte. Certains bâtiments ont été transformés en logements, mais le corps principal est là, tel quel. L'aménagement sommaire du musée laisse l'authenticité de l'histoire nous atteindre de plein fouet. Un panneau interdit au visiteur de parler fort et le prie de respecter le silence des victimes. De toutes façons, personne ne semble d'humeur bavarde. Un vent froid coule sous la chaleur moite de l'après-midi et dans l'absence de bruits, l'histoire nous saisit l'âme et la peau. J'ai vu des visages graves, des mains sur les bouches et des yeux vacillants. C'est froid, c'est dur, c'est encore vivant. On prend quand même des photos, pour mieux croire ce qu'on l'on voit, pour se souvenir aussi. Soudain, dans les couloirs, on perçoit presque des bruits de pas rythmés par des ordres assurés et le lourd cliquetis de la ferraille ; à ce moment là, on devrait aussi entendre par un cri déchirant briser l'ensemble. Mais mystérieusement, on n'entend plus rien que l'intonation placide des visiteurs et de leurs tongs qui s’aplatissent sous leur poids et tapotent leurs talons.

 

Dans les salles de torture, au dessus de chaque lit de fer où le prisonnier était attaché, il y a parfois une grande photo délavée à laquelle on ne peut échapper. Pourquoi ont-ils photographié ces corps tordus ensanglantés et désarticulés ? Pour éviter le suicide des prisonniers, les barbelés recouvrent entièrement les façades des bâtiments ; Dans les cellules de briques, on vivait en sous-vêtements, comme dans celles de bois, à l'étage. On pourrait encore compter les numéros peints sur les murs. Plus loin, les outils de tortures sont mis en scène dans des peintures sans pitié. Quelques récits d'anonymes, de survivants, d'étrangers racontent des détails vrais qui immergent ce qu'il restait de nous à la surface. Les repas se composaient de deux ou trois cuillers de riz bouilli ; les douches bimensuelles consistaient à se regrouper sous un jet d'eau parvennant à travers les barreaux. Deux enfants rescapés racontent leurs derniers jours avant la libération par les Vietnamiens. Depuis leur cachette, ils entendaient hurler un bébé de six mois qui n'avait pas compris qu'il valait mieux rester discret. C'est quand, plus tard, l'un d'eux a vu des fourmis entrer dans son nez et ses oreilles qu'il a compris qu'il était mort. C'est détaillé, intéressant mais ça ne passe pas tout seul. Certains des visiteurs n'ont pu retenir le capuchon de leur stylo, gravant leur surplus d'indignation sur un mur, ou gribouillant les visages des coupables. Sur le front géant de Pol Pot : « Fuck you ». Des coupables qui aujourd'hui ne sont ni tous morts, ni tous en prison.

 

C'est sur les images du killing field que se termine la visite. Aujourd'hui encore, quand la pluie tombe sur le champ d'exécution situé à une quinzaine de kilomètres de la prison, des ossements remontent à la surface. L'encens qui brûle au pied de la cloche commémorative, masque l'odeur du massacre. Mais ce que l'histoire nous laisse de plus fort, ce sont les photos des prisionniers. Des photos en noir et blanc prises systématiquement et toutes cadrées de la même manière. Autour des cous, des numéros. Les procédés font écho à d'autres tragédies, en d'autres lieux et d'autres époques. Dans ces photos bien rangées, il y a des regards droit devant qui ne mentent pas.

 

 

 

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commentaires

M
Je n'ai pas visité ce camp mais un cambodgien à qui je demandais pourquoi les vieux que je croisais, souvent avaient les yeux baissés me répondit: "parce que les victimes ont peur de reconnaître les bourreaux qui marchent dans la rue, aussi libres qu'eux.
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